ANGRY YOUNG MEN (THE)

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Bien que leur humeur ait plutôt été une amertume sarcastique ou boudeuse et leur rébellion un repli, un refus de souscrire plus longtemps à une vulgate officielle qui leur donnait des haut-le-cœur, on les a appelés, globalement, les «jeunes gens en colère», et le label est resté. Il désigne une poignée d’écrivains, romanciers dramaturges ou essayistes qui, vers le milieu des années cinquante, en Angleterre, se sont mis à donner de la voix (pas en chœur, d’ailleurs) et à faire souffler sur le pays un petit vent de fronde qu’on n’attendait pas. L’événement qui catalysa le phénomène fut la représentation, le 8 mai 1956, au Royal Court Theatre de Chelsea, à Londres, de la pièce de John Osborne, Look back in Anger . Depuis quelque temps déjà, il y avait une certaine effervescence dans le monde du jeune théâtre anglais: en août 1955, Peter Hall avait monté En attendant Godot de Beckett. En 1956, on avait pu voir à Londres La Cantatrice chauve d’Ionesco et le Berliner Ensemble de Brecht venu en tournée. En avril 1956, l’English Stage Company s’installait au Royal Court avec comme objectif de promouvoir un jeune théâtre, plus incisif, plus «engagé»: après The Mulberry Bush d’Angus Wilson et Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller, elle donna la pièce d’Osborne et, à l’écho que la première trouva, au scandale qu’elle suscita, on comprit qu’un point sensible avait été, plus que touché, dynamité. Jimmy Porter devint l’archétype du jeune rebelle ayant perdu ses illusions sur l’Angleterre contemporaine et John Osborne (né en 1929), son créateur, l’un des «trois mousquetaires» (avec Kingsley Amis et Colin Wilson) de la guérilla culturelle.

On était au jeu de massacre. Né dans la classe ouvrière, Jimmy Porter a pu s’en sortir grâce à la politique du gouvernement travailliste venu au pouvoir en 1945. Il fait partie de cette élite plébéienne qui pour la première fois a eu accès à l’université. Il a épousé, de haute lutte, la fille du colonel Redfern, un ancien de l’armée des Indes, de l’Angleterre édouardienne et de ses splendeurs. Mais loin de prendre plaisir à son ascension sociale, il a le sentiment que lui et ses semblables ont été victimes d’un marché de dupes. On leur a donné accès aux études, mais les études ne donnent plus accès à rien. Ils se retrouvent entre deux chaises, sans foi ni classe, déracinés et à la dérive, ayant approché d’assez près l’establishment et la haute bourgeoisie pour comprendre que jamais ils ne parviendront à conquérir (du reste, cela ne s’acquiert pas: il faut être né) l’aplomb hautain et sans vergogne qui vous ouvre toutes les portes, mais, en même temps, ayant cheminé désormais trop loin hors de leur classe d’origine pour s’y sentir encore à l’aise, pour y trouver encore, traîtres et renégats qu’ils sont, une assise et un refuge.

Pris dans ce nœud de contradictions, Jimmy Porter se débat comme un diable et, en longues tirades véhémentes, il exhale sa rancœur contre l’ennui sordide du dimanche anglais, contre le colonel Redfern, culotte de peau et nostalgie du raj , contre l’évêque de Bromley qui, c’est dans le journal, dément prendre le parti des riches contre les pauvres et nie d’ailleurs l’existence de la lutte des classes, «concept pernicieux inventé par la classe ouvrière», contre ce que l’Angleterre est en train de redevenir, maintenant que l’élan de 1945 a été trahi. L’atmosphère politique troublée de l’année 1956, année de l’expédition de Suez et de l’insurrection hongroise, favorisait la montée des invectives. Le pays était en proie à une vague de chauvinisme populaire et, en même temps, il devenait clair que depuis la chute du cabinet travailliste de Clement Attlee (en 1951) et le retour des conservateurs au 10 Downing Street, l’establishment était en train de reprendre du poil de la bête et de regagner le terrain un moment perdu. Ce climat donna une urgence particulière au réquisitoire de Jimmy Porter et projeta sur l’avant-scène ce personnage de déclassé floué que déjà depuis quelques années certains romanciers avaient esquissé.

Dès 1953, John Wain (né en 1925) avait écrit, avec Hurry on down , une saga picaresque un peu à la manière de Joyce Cary où le personnage de Charles Lumley, qui vient de quitter l’université, dérive de petit métier en petit métier: laveur de carreaux, script-writer , aide-soignant d’hôpital, chauffeur de maître, à la recherche d’un créneau, qu’il ne trouve pas, dans la société. La classe sociale à laquelle ses études lui donneraient accès, il y étouffe; mais il ne veut pas non plus retourner, ou aller, comme au bon vieux temps, au peuple: ce serait indécent. Alors, il cherche à rester en terrain neutre, à voyager sans passeport. Quelques mois plus tard parut le roman de Kingsley Amis (né en 1922), Lucky Jim (1954). En racontant les facéties de Jim Dixon, assistant en littérature médiévale anglaise dans une université de province qui, tout en faisant des ronds-de-jambe à son patron, tire la langue derrière le dos de celui-ci au racket qu’est la culture en peau de lapin dont il est le porte-flambeau, Amis, au départ, n’avait voulu qu’écrire un roman comique inspiré des gags qui l’avaient fait rire dans P. G. Wodehouse, Eric Linklater ou Evelyn Waugh. Rétrospectivement, à partir de 1956, «Jim la Chance» fut vu comme un autre de ces déclassés en transit qui utilisent ce qu’il leur reste de truculence populaire pour dynamiter le mirage de «culture» auquel ils ont eu la naïveté de se laisser prendre. S’il restait ici ou là des mèches qui traînaient, Colin Wilson (né en 1931) les alluma toutes dans son essai The Outsider (printemps 1956), un pot-pourri de citations où le «nouveau philosophe» de sa génération faisait donner en vrac Nietzsche, Gurdjieff, saint Jean de la Croix et cent autres pour théoriser la figure du «rebelle» existentialiste. Le livre eut une grande publicité et acheva de transformer le mouvement des «jeunes gens en colère» en un phénomène qui fit partout la une des journaux.

Room at the Top (Les Chemins de la haute ville ) de John Braine (né en 1922) parut l’année suivante (1957). Ce roman exprime peut-être mieux que tout autre le malaise social qui est au fond de la «colère». Joe Lampton, son héros, est une sorte de Julien Sorel du Yorkshire (le roman se passe à Bradford). D’origine ouvrière, il n’a que mépris pour la bourgeoisie de la «haute ville», mais en même temps il est décidé à s’y frayer, cyniquement, sans scrupules, un chemin. Ce chemin passe par les femmes. Il en trahit une pour une autre qui lui offre les clefs de la haute ville, mais c’est au prix de l’étouffement de ce qu’il lui restait de cœur. En 1959, Jack Clayton fit de ce livre un film mémorable pour lequel Simone Signoret obtint un oscar. La même année, Tony Richardson porta à l’écran Look back in Anger . Ce fut un des effets, et non le moindre, de la secousse donnée par les «jeunes gens en colère»: elle favorisa l’apparition d’un climat dans lequel une «nouvelle vague» du cinéma apparut, amenant dans son sillage de nouveaux acteurs, tandis que le théâtre, avec les premières pièces d’Harold Pinter (1957), d’Arnold Wesker (1958) et de Shelagh Delaney (A Taste of Honey , 1958), connaissait un immense regain.

Si ambiguë que soit l’attitude de Jimmy Porter, de Jim Dixon, de Charles Lumley et de Joe Lampton, à l’égard et de l’establishment et de leur classe d’origine, leur cheminement forçait néanmoins le roman anglais à sortir des cercles où il s’était souvent cantonné: Mayfair ou Bloomsbury, Eton College, Oxford et Cambridge, à explorer à nouveau des territoires laissés en friches, à reprendre pied, comme au temps de la grande tradition du XIXe siècle (George Eliot, Charles Dickens) dans la province anglaise, à parler avec des accents qui n’avaient pas souvent droit de cité. Il y avait le Yorkshire de John Braine. Il y eut surtout le Nottinghamshire d’Allan Sillitoe (né en 1928). Dans Saturday Night and Sunday Morning (1958), le plus attachant des romans de cette courte époque, il marche dans les traces de D. H. Lawrence et, dans l’espace d’une longue nouvelle, La Solitude du coureur de fond (1959), résume et l’enjeu et les tactiques de la nouvelle guérilla sociale. Dans le cadre plus général de cette résurgence de l’Angleterre oubliée, à la lisière du monde rural et du monde ouvrier, et des provinces du Nord et des Midlands en particulier (résurgence dont l’ouvrage classique du sociologue Richard Hoggart The Uses of Literacy [La Culture du pauvre ], publié en 1957, est le meilleur indice), la fronde partie de Chelsea en mai 1956 perdit de son caractère de scandale. La «colère» tomba et, au début des années soixante, le mouvement s’était plus ou moins épuisé. À Chelsea, le temps de Mary Quant et de Vidal Sasoon était venu: une autre époque, celle de King’s Road et de la pop-music qui suscita un autre type d’effervescence. Quant à ceux que le label angry young men avait un moment, à leur corps défendant, rassemblés, ils vieillirent, et chacun alla son chemin.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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